Inconventionnalité des dispositions relatives au FNAEG

Pénal - Procédure pénale
23/06/2017
Par un arrêt de chambre rendu à l’unanimité, le juge européen condamne la France, au nom du droit au respect à la vie privée. Les normes encadrant le fonctionnement du FNAEG n’offrent pas une protection suffisante aux personnes intéressées et ne traduisent pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en jeu.

Faits et procédure de l’espèce


En janvier 2008, le requérant participe à un rassemblement se déroulant dans un contexte politique et syndical difficile. À l’issue de la réunion, une bousculade éclate entre les manifestants et la Gendarmerie. Le requérant est placé en garde-à-vue et cité comparution immédiate devant le Tribunal correctionnel de Bayonne. Il est poursuivi du chef de violences volontaires n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail à l’encontre des forces de l’ordre, avec usage ou menace d’une arme (en l’espèce un parapluie).

Par un jugement du 13 mars 2008, le requérant est condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis. Le 24 décembre 2008, à la suite d’une demande du parquet de Bayonne, le requérant est convoqué par les services de police pour que soit effectué un prélèvement biologique sur sa personne, en vue de son inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Il est à nouveau convoqué devant la juridiction correctionnelle, le 19 mai 2009, pour avoir refusé de se soumettre à ce prélèvement et condamné le 27 octobre 2009, à une amende de 500 euros.

Le 3 février 2011, la Cour d’appel de Pau confirme la condamnation. Les juges du fond considéraient notamment à cette occasion que le requérant ne pouvait pas utilement invoquer la jurisprudence européenne établie en 2008 (CEDH, gr. ch., 4 déc. 2008, req. nos 30562/04 et 30566/04), puisqu’en l’espèce, il n’était pas simplement soupçonné, mais bien condamné pour une infraction.
Les juges palois s’appuyaient également sur la décision du Conseil Constitutionnel du 16 septembre 2010, qui avait déclaré, avec réserves d’interprétation, la constitutionnalité des articles 706-54, 706-55 et 706-56 du Code de procédure pénale (Cons. const., 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, JO 16 sept.). La cour d’appel de Pau en déduisait que les dispositions de la loi nationale litigieuses étaient de nature à assurer entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée et qui répond aux exigences de l’article 8 de la Convention

Le requérant forme un pourvoi en cassation. La Chambre criminelle rejette le pourvoi et considère que « les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de refus de se soumettre à un prélèvement biologique dont elle a déclaré le prévenu coupable, sans méconnaître les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme » (Cass. crim., 28 sept. 2011, n° 11-81.223).

Estimant que sa condamnation pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à enregistrer ses empreintes génétiques constitue une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée, le requérant saisit la Cour européenne le 20 janvier 2012.
 

Droit interne applicable


Après avoir rappelé le droit interne applicable (C. pr. pén., art. 706-54 et s.) et la décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2010 (précitée), la Cour européenne relève la jurisprudence de la Cour de cassation applicable en la matière :
  • l’arrêt du 11 juillet 2012, par lequel la Chambre criminelle avait refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité relatives aux dispositions en cause, puisqu’elles avaient déjà été déclarées conformes à la Constitution le 16 septembre 2010 (Cass. crim., 11 juill. 2012, n° 12-81.533) ;
  • l’arrêt du 19 mars 2013, rendu dans la même affaire, par lequel la Cour avait énoncé que « ne méconnaît pas les dispositions des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui déclare un prévenu coupable de refus de se soumettre à un prélèvement biologique, dès lors que s'il s'analyse en une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, l'enregistrement des empreintes génétiques constitue une mesure, non manifestement disproportionnée, qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment, à la sûreté publique et à la prévention des infractions pénales et qui s'applique, sans discrimination, à toutes les personnes condamnées pour les infractions mentionnées à l'article 706-55 du Code de procédure pénale » (Cass. crim., n° 12-81.533, 19 mars 2013, Bull. crim., n° 66).
 

L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée


La Cour européenne rappelle d’abord que le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention, peu important que les informations mémorisées soient ou non utilisées par la suite (voir not. CEDH, gr. ch., 16 févr. 2000, req. n° 27798/95).

Corrélativement, la Cour précise « qu’elle a pleinement conscience que, pour protéger leur population comme elles en ont le devoir, les autorités nationales sont amenées à constituer des fichiers contribuant efficacement à la répression et à la prévention de certaines infractions, notamment les plus graves, comme celles de nature sexuelle pour lesquelles le FNAEG a été créé ». Toutefois, comme elle l’a déjà énoncé, « de tels dispositifs ne sauraient être mis en œuvre dans une logique excessive de maximalisation des informations qui y sont placées et de la durée de leur conservation. En effet, sans le respect d’une nécessaire proportionnalité au regard des objectifs légitimes qui leur sont attribués, les avantages qu’ils apportent seraient obérés par les atteintes graves qu’ils causeraient aux droits et libertés que les États doivent assurer en vertu de la Convention aux personnes placées sous leur juridiction » (voir not. CEDH, 18 avr. 2013, req. n° 19522/09).

Le juge européen poursuit son analyse en constatant qu’il n’est pas contesté que la condamnation du requérant s’analyse en une ingérence dans le droit de ce dernier au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, pas plus que le fait que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi et qu’elle poursuivait le but légitime de détection et, par voie de conséquence, de prévention des infractions pénales. Elle en déduit qu’il lui incombe, en l’espèce, d’examiner la nécessité de cette ingérence au regard des exigences de la Convention.

Dans ce cadre, il est rappelé que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental dans l’exercice du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention et que « la législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues par cet article. La nécessité de disposer de telles garanties se fait d’autant plus sentir lorsqu’il s’agit de protéger les données à caractère personnel soumises à un traitement automatique, en particulier lorsque ces données sont utilisées à des fins policières. Le droit interne doit notamment assurer que ces données sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Le droit interne doit aussi contenir des garanties aptes à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs, tout en offrant une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées ».
 

L’inconventionnalité des dispositions relatives au FNAEG


En l’espèce, le juge observe que l’inscription du requérant sur le fichier, évitée au prix d’une condamnation pénale, n’emporte en elle-même aucune autre obligation à la charge de l’intéressé et qu’elle obéit à des modalités de consultation suffisamment encadrées. La Cour approuve aussi le fait que le fichage génétique puisse être réalisé à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l’intéressé (C. pr. pén., art. 706-56) et que seules les infractions limitativement énumérées (C. pr. pén., art. 706-55) puissent donner lieu à une inscription au FNAEG. Toutefois, elle condamne le dispositif en vigueur, pour trois raisons :
  • la durée de conservation des empreintes : si, en application de l’article R. 53-14 du Code de procédure pénale, la durée de conservation des profils ADN ne peut dépasser quarante ans s’agissant des personnes condamnées pour certaines infractions, la Cour relève « qu’il s’agit en principe d’une période maximum qui aurait dû être aménagée par décret. Or, ce dernier n’ayant pas vu le jour, la durée de quarante ans est en pratique assimilable, sinon à une conservation indéfinie, du moins à une norme plutôt qu’à un maximum et ce en particulier pour des personnes ayant atteint un certain âge » ;
 
  • l’absence de suite apportée aux réserves émises par le Conseil constitutionnel : la Cour européenne relève que la conformité à la Constitution (Cons. const., 16 sept. 2010, précitée) était notamment subordonnée à la nécessité de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées. Or, « à ce jour, cette réserve n’a pas reçu de suite appropriée », puisque « aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise, et ce nonobstant l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706-55 du Code de procédure pénale ». D’ailleurs, en l’espèce, « la situation du requérant en atteste, avec des agissements qui s’inscrivaient dans un contexte politique et syndical, concernant de simples coups de parapluie donnés en direction de gendarmes qui n’ont pas même été identifiés, par comparaison avec la gravité des faits susceptibles de relever des infractions particulièrement graves visées par l’article 706-55 du Code de procédure pénale », telles que des infractions sexuelles, du terrorisme ou encore des crimes contre l’humanité ou de la traite des êtres humains ;
 
  • l’absence d’effacement des données relatives aux personnes condamnées : la Cour relève qu’il n’est pas contesté que la procédure d’effacement n’existe que pour les personnes soupçonnées et, non, pour celles qui ont été condamnées. Or « les personnes condamnées devraient également se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées » et, ce, « afin que la durée de conservation soit proportionnée à la nature des infractions et aux buts des restrictions ».

Compte-tenu de ce qui précède, le juge européen estime que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ». « Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière. Dès lors, la condamnation pénale du requérant pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement destiné à l’enregistrement de son profil dans le FNAEG s’analyse en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ». Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
Source : Actualités du droit