Retrait d’habilitation d’un OPJ et garanties du droit à un procès équitable

Pénal - Informations professionnelles, Procédure pénale
18/01/2019
La Chambre criminelle de la Cour de cassation estime que le fonctionnement de la commission de recours prévue à l’article 16-2 du Code de procédure pénale accorde à l’intéressé, des garanties suffisantes de nature à préserver ses droits, conformément à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les faits ayant donné lieu à la présente affaire étaient les suivants. À la suite de la découverte, par la Direction nationale des enquêtes douanières (DNRED), de sept tonnes de résine de cannabis réparties dans plusieurs véhicules stationnés sur la voie publique, une enquête est diligentée. Il est alors établi que ces stupéfiants, une fois importés en France, avaient fait l'objet d'une livraison surveillée, en lien avec les agissements d'un informateur de l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS). Les opérations, portant sur une quantité totale de seize tonnes de résine de cannabis, ont été réalisées sous la direction de ce service, placé sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire (OPJ), après information du parquet.
Les activités illégales de l’informateur, qui figurait parmi les destinataires des stupéfiants issus de cette opération, faisaient l’objet d'une information instruite par un juge d'instruction d’une juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS), lequel avait autorisé une opération d'infiltration. Entreposée en province, puis transportée le lendemain en banlieue parisienne à l'initiative du même informateur, la résine de cannabis, échappant alors au contrôle de l’OCRTIS, a été dispersée en France et à l'étranger, aboutissant à la réalisation de plusieurs saisies ultérieures par d’autres services. Une précédente importation, d’environ trois tonnes de résine de cannabis, suivie d’une autre livraison surveillée, avait été réalisée précédemment, selon des modalités similaires.

Reprochant à l’OPJ, la violation des plusieurs dispositions du Code de procédure pénale, un manque de discernement, des manquements à la loyauté à l'égard de l'autorité judiciaire, des négligences graves et répétées, un manque de professionnalisme et une confiance excessive envers l’informateur, le procureur général, après avoir procédé à l'audition de l’intéressé, ordonne le retrait de son habilitation.
Cette décision est confirmée après recours préalable et l’OPJ saisit, par requête, la commission prévue à l'article 16-2 du Code de procédure pénale, en invoquant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La commission de recours des officiers de police judiciaire infirme l'arrêté du procureur général prononçant le retrait de l’habilitation et suspend l’habilitation pour deux ans.
En ce qui concerne la garantie des droits, elle estime que la suspension ou le retrait de l’habilitation n’a pour effet que d’empêcher l’accomplissement de certains actes de procédure pénale directement liés à cette habilitation et que cette restriction apportée à l’usage de pouvoirs directement liés à l’exercice de la puissance publique n’a pas pour effet de modifier la position statutaire du policier ni son grade, sauf à lui faire occuper un emploi compatible avec le retrait intervenu. En outre, la décision est indépendante des poursuites pénales, ne vise pas à sanctionner des infractions, ne comporte ni mesure privative de liberté ni sanction financière et ne saurait, dès lors, être assimilée à une accusation en matière pénale. La commission de route observe que si la loi n’a pas prévu de recours à un tribunal pour le retrait ou la suspension de l’habilitation à exercer les attributions liées à la qualité d’officier de police judiciaire, elle a cependant mis en œuvre une procédure contradictoire garantissant les droits de la personne concernée en prévoyant la mise à sa disposition du dossier, son audition préalable, avec l’assistance d’un avocat, une décision motivée du procureur général, la possibilité d’un recours devant une formation de trois magistrats de la Cour de cassation composant la commission de recours en matière de suspension ou de retrait d’habilitation des officiers de police judiciaire, ladite commission rendant une décision motivée susceptible d’un pourvoi en cassation pour violation de la loi. La commission en déduit que la décision attaquée n’a pas méconnu les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

L’OPJ forme un pourvoi en cassation (C. pr. pén., art. R. 15-16). Il invoque une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et, notamment, une atteinte à la garantie d’impartialité, en ce que la décision de retrait ou de suspension d’une habilitation est rendue par le même magistrat que celui qui a exercé les fonctions de poursuite, d’enquête et d’instruction. En se bornant à énoncer que la décision de retrait ou de suspension d’une habilitation ne constituait pas une accusation en matière pénale et que l’officier de police judiciaire bénéficiait d’une procédure contradictoire avec assistance d’un avocat et d’un recours devant la Cour de cassation, pour en déduire que l’article 6 de la Convention n’avait pas été méconnu, la commission n’aurait pas répondu au moyen relatif au défaut d’impartialité.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation estime que le moyen n’est pas fondé. En se déterminant comme elle l’a fait, la commission de recours a justifié sa décision, puisque, d’une part, la procédure, prévue aux articles R. 15-2 et R. 15-6 du Code de procédure pénale et mise en œuvre par le procureur général près la cour d’appel, si elle peut conduire ce magistrat à prononcer une mesure de suspension ou de retrait d’habilitation, constitue une procédure disciplinaire spécifique accordant à OPJ concerné par ladite procédure, dans le respect du principe du contradictoire, l’assistance d’un avocat lors des auditions et l’accès au dossier et que, d’autre part, le recours formé contre la décision prise en première instance relève de la compétence d’une commission, composée par trois magistrats de la Cour de cassation, qui, conformément aux articles R. 15-7 à R. 15-16 du Code de procédure pénale, procède à un réexamen en fait comme en droit du dossier et exerce un contrôle de l’arrêté pris par le procureur général et dont la décision est elle-même soumise au contrôle de la Cour de cassation pour violation de la loi. De la sorte, l’intéressé bénéficie de garanties suffisantes de nature à préserver ses droits, conformément à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment eu égard à l’exigence d’impartialité.
 

Pour justifier sa décision de suspension sur le fond, la commission de recours retient l’existence de griefs tirés, d’une part, de manquements à la loyauté à l'égard de l'autorité judiciaire et, d’autre part, de négligences graves et répétées, d’un manque de professionnalisme et d’une confiance excessive manifestée par l’OPJ envers l’informateur.
Pour caractériser les premiers manquements, les juges relèvent l’absence d’information donnée au procureur de la République sur les quantités de stupéfiants transportées lors des deux livraisons surveillées, l’affirmation mensongère fournie à ce magistrat quant à la connaissance que l’OCRTIS avait de la localisation des points de stockage et des phases de livraison, une fois la seconde livraison surveillée réalisée, la transmission au juge d’instruction de fausses informations relatives à l’évolution immédiate de la procédure à la veille de la saisie douanière opérée à Paris et en ce qui concerne l’importance réelle de l’informateur dans ces opérations, ainsi que la dissimulation au procureur de la République d’un lieu de stockage de stupéfiants situé dans son ressort, faisant suite à la première livraison surveillée. La commission de recours énonce également que les autres griefs ont été établis, outre par la remise, par l’informateur, de trois téléphones cryptés à l’OPJ, par la cessation de la surveillance des stupéfiants objet de la dernière livraison surveillée depuis leur départ de l’entrepôt utilisé en province, alors qu’aux fins d'identifier et, le cas échéant, d'interpeller les destinataires et commanditaires de cette opération, il incombait à l’intéressé d’assurer le suivi de cette cargaison, sans se fier exclusivement à son informateur, y compris, en déléguant l’exécution à son adjoint compte tenu de son déplacement à l’étranger.
S’en remettant à l’appréciation souveraine des juges de la commission de recours, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime « qu'après avoir souverainement apprécié les éléments de la cause, contradictoirement débattus, elle a procédé à une analyse de chacun des griefs imputés à l’intéressé au regard de la qualité hiérarchique de ce fonctionnaire de police et de la gravité des faits qui lui étaient reprochés », la commission de recours des officiers de police judiciaire, qui n'avait pas à suivre le demandeur dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision.
 
En complément, on rappellera, s’agissant de la procédure d’habilitation à exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire elle-même, que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice devrait simplifier la procédure, en prévoyant l’insertion d’un nouvel alinéa 10 au sein de l’article 16 du Code de procédure pénale, aux termes duquel l'habilitation serait délivrée par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle intervient la première affection du fonctionnaire et serait valable pour toute la durée de ses fonctions, y compris en cas de changement d'affectation (art. 30, I (non modifié), PLPJ 2018-2022 ; Ass. Nat., TA n° 206, 11 déc. 2018).
Source : Actualités du droit