Bioéthique : un texte peu retouché en séance publique

Civil - Personnes et famille/patrimoine
11/10/2019
Aide médicale à la procréation, établissement de la filiation, dons des personnes protégées. Focus sur les articles 1,4, 6 et 7 dont l'examen en séance publique s'est achevé le 4 octobre 2019. 
Trois ministres, trois femmes, pour défendre un projet de loi sensible.

Comme le précise la ministre de la Justice, « Ce progrès fera date ; c’est même une forme de révolution dans le droit de la filiation. Pour autant, ce progrès ne doit pas s’accomplir en portant atteinte aux équilibres juridiques existants : nous ne souhaitons pas imposer de nouvelles contraintes aux couples hétérosexuels » (Assemblée nationale, 2019-2020, compte rendu n° 33).

Concrètement, la garde des Sceaux est « chargée de son article 4, qui tire les conclusions en termes de filiation de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules » (Assemblée nationale, 2019-2020, compte rendu n° 33).
 
 
L’AMP étendue à toutes les femmes
Mesure phare de ce projet de loi : l’extension de l’aide médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Pour l’heure, seuls les couples hétérosexuels peuvent bénéficier de cette technique, sur indication médicale (art. L. 2141-2 du Code de la santé publique).

Pour accéder à l’AMP, les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons.

Lorsqu’il s’agit d’un couple, les hypothèses suivantes font obstacle à l’insémination artificielle ou au transfert d’embryons :  
– décès d’un des membres du couple (ce qui exclut le recours à l’AMP via les gamètes d’un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé) ;
– introduction d’une demande en divorce ;
– introduction d’une demande en séparation de corps ;
– signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel ; 
–  cessation de la communauté de vie ;
–  révocation par écrit du consentement par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l'AMP.

Le projet de loi confie au Conseil d’État le soin de fixer par décret, après avis de l’Agence de biomédecine, les conditions d’accès relatives à l’âge des bénéficiaires (TA AN n° 2243, 2019-2020, art. 1).
 
Il est indiqué que ces conditions devront prendre en compte les deux éléments suivants :
– les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ;
– l’intérêt de l’enfant à naître.
 
Levée de l’interdiction du double don de gamètes.–
Autre innovation importante apportée par ce texte : la levée de l’interdiction du double don de gamètes prévue par l’article L. 2141-3 du Code de la santé publique. Il laisse ainsi le choix entre l’accueil d’embryon et le double don de gamètes.

Soulignant que ce choix se justifiait sur le plan médical, l’étude d’impact indique que « les donneurs de gamètes sont plus jeunes que les donneurs d’embryons (même si des limites d’âge parental sont fixées pour ceux-ci dans l’arrêté du 30 juin 2017 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation) et surtout sans problème connu d’infertilité qui pourrait être à l’origine de risques potentiels de complications obstétricales ou périnatales pour les receveurs ». Une solution à laquelle le Comité consultatif national d’éthique s’était montré favorable dès 2005 (Comité consultatif national d'éthique (CCNE), avis n° 90 : « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation », 24 nov. 2005).
 
Consécration de la notion de projet parental.– 
Supprimant l’exigence d’une infertilité pathologique, le texte précise que l’AMP devra répondre à un projet parental (TA AN n° 2243, 2019-2020, amendement n° 2123). Une notion qui figure déjà aux articles L. 2141-3 et L. 2141-4 du Code de la santé publique.
 
Une évaluation médicale des candidats.–
Pour bénéficier de l’AMP, les candidats effectuent des entretiens avec une équipe clinicobiologique. En sus du médecin, d’autres professionnels de santé pourront prendre part à ces entretiens. C’est notamment le cas des pharmaciens, des sages-femmes, ou encore des psychologues (TA AN n° 2243, 2019-2020, amendement n° 2554).

La composition de cette équipe sera fixée par un décret en Conseil d’État (TA AN n° 2243, 2019-2020, amendement n° 2327).

Outre une vérification de la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée, l’équipe clinicobiologique procédera à une évaluation médicale de ces derniers.

Ces professionnels de santé devront informer au mieux les candidats sur les possibilités de réussite ou d’échec du recours à l’AMP ainsi que sur ses conséquences. Un amendement est venu renforcer l’étendue de cette information, prévoyant que les candidats seront informés « complètement et au regard de l’état des connaissances scientifiques » (TA AN n° 2243, 2019-2020, amendement n° 2224).

Aussi, cette équipe remettra un dossier-guide aux deux membres du couple ou à la femme non mariée. Celui-ci comportera notamment « des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet ».

Le gouvernement a jusqu'au 31 décembre 2025 pour remettre au Parlement un rapport d’évaluation sur les dispositions prévues par l’article 1 (TA AN n° 2243, 2019-2020, amendement n° 2544).
 
 
Établissement de la filiation des enfants nés d’AMP avec tiers donneur réalisée par un couple de femmes
L’article 4 instaure une filiation par déclaration de volonté pour l’ensemble des couples ayant recours à l’assistance médicale à la procréation (TA AN n° 2243, 2019-2020, art. 4).

Il prévoit que l’établissement de la filiation s’opère au moyen d’une déclaration commune anticipée faite devant notaire. Cette déclaration, qui intervient en même temps que le consentement au recours à l’AMP, permet à chacun de s’engager à devenir le parent légal de l’enfant.

Toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation est interdite, sauf lorsqu’il est soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet.

Le texte précise que le consentement se trouve privé d'effet « à la suite du décès, d’introduction demande en divorce ou en séparation de corps, de signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps ou de cessation de la vie commune avant la réalisation de l’insémination ou le transfert de l’embryon » (TA AN n° 2243, 2019-2020, art. 4, amendement n° 2459).

Les femmes désignées par la reconnaissance conjointe choisissent le nom de famille de l’enfant, celui-ci lui étant dévolu au plus tard lors de la déclaration de naissance. En l’absence d’accord, l’officier d’état civil devra retenir le nom de chacun des parents dans l’ordre alphabétique.

« Comme il est apparu, à la lecture, que cet article (art.4) ne s’appliquait qu’aux couples hétérosexuels, nous avons proposé un nouveau dispositif – c’est le projet de nouvelle rédaction de l’article 4 du projet de loi, qui vous a été transmis aujourd’hui –, qui pose le même principe pour les couples homosexuels, c’est-à-dire que, une fois que la filiation est établie à l’égard des deux mères, personne ne pourra en établir une autre. On conserve donc cette double linéarité – hétérosexuelle ou homosexuelle, mais c’est bel et bien une double linéarité » a tenu à souligner la garde des Sceaux au cours des débats (Assemblée nationale, 2019-2020, compte rendu n° 35).
 
Prélèvement de cellules souches hématopoïétiques par un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses parents
L’étude d’impact précise que « les cellules souches hématopoïétiques sont des cellules pluripotentes qui ont la capacité de se multiplier puis de se différencier en lignées cellulaires ».

En principe, le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse est interdit aux mineurs et majeurs protégés. Ce principe est toutefois assorti d’exceptions.

En effet, ce prélèvement est autorisé, en l’absence d’autre solution thérapeutique, au bénéfice du frère ou de la sœur, et à titre exceptionnel, au profit des cousins germains, oncles, tantes, neveux et nièces (Code de la santé publique, art. L.1241-3 et L. 1241-4).

L’article 6 du projet de loi va plus loin (TA AN n° 2243, 2019-2020, art. 6). Il vient, en effet, étendre la liste des bénéficiaires au père et à la mère du donneur. Un choix salué par le Conseil d’État dans l'avis qu'il a rendu sur le projet de loi : « dans un contexte où les donneurs compatibles sont rares et où l’intérêt de la greffe peut être vital pour le receveur, le projet du Gouvernement poursuit des finalités légitimes ».

Dans cette hypothèse et lorsque la personne prélevée est un mineur, le président du tribunal de grande instance doit désigner un administrateur ad hoc conformément à l’article 388-2 du Code civil. Pour éviter tout conflit d’intérêts, les frères, sœurs, collatéraux ou ascendants ne peuvent pas exercer cette mission.

Avant d’autoriser le prélèvement, le président du tribunal de grande instance doit entendre :
– le mineur (s’il est capable de discernement) ;
– le père et la mère ;
– l’administrateur ad hoc.
 
Concernant les majeurs faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation à la personne, le juge des tutelles n’interviendra que lorsque la personne concernée n’aura pas la faculté de consentir. Dans ce cas, le juge des tutelles sera en mesure d’autoriser le prélèvement après avis de la personne en charge de la mesure de protection et du comité d’experts. Si le bénéficiaire n’est autre que l’un des parents ou la personne chargée de la mesure de protection, un administrateur ad hoc sera nommé.  
 
Don d’organes, de tissu, cellules ou de produits du corps humain des majeurs protégés
En matière de don d’organes, de tissus, de cellules, ou de tout produit du corps humain, l’article 7 du projet de loi distingue les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation à la personne, soumis à des régimes dérogatoires, des autres majeurs protégés qui se verront appliquer le droit commun (TA AN n° 2243, 2018-2019, art. 7).

Le projet de loi modifie également l’article L. 1232-2 du Code de la santé publique relatif au prélèvement d’organes post mortem. Il prévoit que tous les majeurs, protégés ou non, seront soumis au régime de droit commun. Ils se verront ainsi appliquer la règle du consentement présumé au don, sauf s’ils ont fait part de leur refus dans le registre national prévu à cet effet. Dans son avis relatif à ce projet de loi, le Défenseur des droits a salué cette avancée : « cela permet d’une part, de mettre en cohérence les dispositions du Code de la santé publique avec le Code civil, notamment son article 418, qui prévoit que la mission de la personne chargée de la mesure de protection prend fin au décès du majeur, et d’autre part, d’éviter de faire prévaloir l’avis d’un tiers, quand bien même il serait chargé de sa représentation, sur celui du majeur décédé » (Défenseur des droits, avis n°19-11, 5 sept. 2019).
 
Prélèvement d’organes dans l’intérêt thérapeutique de la personne à l’occasion d’une intervention chirurgicale
Quant au prélèvement d’organes dans l’intérêt thérapeutique de la personne à l’occasion d’une intervention chirurgicale (CSP art. L. 1235-2 ), les personnes faisant l’objet d’une protection juridique sur leurs biens relèveront du droit commun, c’est-à-dire qu’en l’absence d’opposition de leur part, le prélèvement pourra avoir lieu.  

En revanche, les personnes concernées par une protection juridique avec représentation à la personne seront soumises à un régime dérogatoire. En effet, l’utilisation ultérieure de leurs organes sera subordonnée à l’absence d’opposition de la personne chargée de la mesure de protection (TA AN n° 2243, 2019-2020, art. 7).
 
 
 Prochaine étape, le vote du texte en séance solennelle le 15 octobre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Source : Actualités du droit