Manquement du comptable public à ses obligations : modalités d’appréciation de l’existence d’un préjudice financier causé à l’organisme public

Public - Droit public général
27/12/2019
Par deux arrêts de section du 6 décembre 2019 publiés au Recueil, le Conseil d’État a détaillé les modalités d’appréciation, par le juge des comptes, de l’existence d’un préjudice financier causé à un organisme public par le manquement de son comptable à ses obligations de contrôle lors du paiement d’une dépense.
Ce sont deux affaires différentes qui ont permis aux juges du Palais-Royal de préciser dans quelles hypothèses les manquements comptables dans le paiement des dépenses de l’Administration doivent être regardés comme causant un préjudice financier aux collectivités publiques. La Haute juridiction avait déjà répondu en 2015 à cette même question dans le cas des recouvrements de recettes (CE, sect., 27 juill. 2015, n° 370430).
 
Nécessité d’établir l’existence éventuelle d’un préjudice
 
Le Conseil d’État rappelle les règles applicables aux dépenses irrégulières. Tout d’abord, « l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifié par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 institue dans l'intérêt de l'ordre public financier, un régime légal de responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics distinct de la responsabilité de droit commun ».
 
Deux hypothèses sont distinguées :
– celle où le manquement du comptable à ses obligations n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné. Dans ce cas, « le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme non rémissible » ;
– celle où son manquement a causé un préjudice financier à l'organisme public. Ici, « le juge des comptes met en débet le comptable qui a alors l'obligation de verser de ses deniers personnels la somme correspondante ».
 
Il revient donc au juge des comptes « d'apprécier si le manquement du comptable a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné et, le cas échéant, d'évaluer l'ampleur de ce préjudice ». Pour cela, il doit « d'une part, rechercher s'il existait un lien de causalité entre le préjudice et le manquement à la date où ce dernier a été commis, et, d'autre part, apprécier le montant du préjudice à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des éléments postérieurs au manquement ».
 
Différentes solutions selon la nature du manquement
 
Tout l’intérêt de cette décision se trouve dans la précision par le Conseil d’État des modalités d’appréciation par le juge des comptes de l’existence d’un préjudice financier causé à l’organisme public par le manquement du comptable à ses obligations lors du paiement de la dépense. Le Conseil précise que le juge doit ici vérifier « si la correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d'éviter que soit payée une dépense qui n'était pas effectivement due ».
 
Et ce sont à nouveau trois hypothèses qui sont distinguées par le Conseil :
– lorsque le manquement porte sur l'exactitude de la liquidation de la dépense et qu'il en est résulté un trop-payé, ou conduit à payer une dépense en l'absence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non échue, ou à priver le paiement d'effet libératoire, le comptable « doit être regardé comme ayant par lui-même, sauf circonstances particulières, causé un préjudice financier à l'organisme public concerné » ;
– à l'inverse, lorsque le manquement porte seulement sur le respect de règles formelles (l'exacte imputation budgétaire de la dépense ou l'existence du visa du contrôleur budgétaire lorsque celle-ci devait, en l'état des textes applicables, être contrôlée par le comptable), « il doit être regardé comme n'ayant pas par lui-même, sauf circonstances particulières, causé de préjudice financier à l'organisme public concerné » ;
– enfin, le manquement du comptable aux autres obligations lui incombant (telles que le contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait) « doit être regardé comme n'ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l'organisme public concerné lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris d'éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l'existence au regard de la nomenclature, que l'ordonnateur a voulu l'exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait ».
 
Le Conseil d’État refait les comptes
 
Dans la première affaire, le comptable public avait procédé au règlement de factures sans disposer des éléments requis en vertu de la réglementation et du contrat signé avec le fournisseur permettant de vérifier l'exactitude des calculs de liquidation de la dette. La Cour des comptes avait retenu l’existence d’un préjudice financier pour l'organisme en cause en raison du « caractère insuffisant des seuls éléments dont disposait la comptable publique à la date du manquement ». Ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’État, qui énonce que le juge des comptes aurait dû vérifier « que les paiements litigieux pouvaient être regardés comme effectivement dus ».
 
Toujours dans cette affaire, le comptable avait validé des paiements sur le fondement de deux documents : une convention comportant le visa du contrôleur général économique et financier mais ne prévoyant pas de prix pour les prestations, et un accord qui, quant à lui, fixait la rémunération applicable à ces prestations mais ne comportait pas ce visa. La Cour des comptes avait estimé qu’« en l'absence de ce visa sur ce document, les prix des différentes prestations étaient non justifiés et les paiements effectués en contrepartie des prestations indus ». Raisonnement à nouveau réfuté par le Conseil d’État, qui juge que « le seul défaut de vérification du visa du contrôleur budgétaire par le comptable n'est pas, en lui-même, de nature à causer un préjudice financier à l'organisme public concerné ».
 
Dans la seconde affaire, le comptable avait effectué plusieurs paiements sur le fondement d'un contrat de marché public et de bons de commande signés par des personnes habilitées à engager ces dépenses pour le compte de l'organisme public concerné, et correspondant à des prestations exécutées. La Cour des comptes, relevant que ces paiements étaient intervenus alors que leur montant était supérieur à la délégation consentie aux délégués de l'ordonnateur, s’était donc fondée sur l'absence de volonté de l'ordonnateur d'accorder une délégation de signature aux signataires des ordres de payer pour caractériser l'existence d'un préjudice financier résultant des paiements. Troisième rejet de la Haute juridiction, qui juge, d'une part, « que ces paiements correspondaient à des prestations exécutées sur la base d'un contrat de marché public et de bons de commande et, d'autre part, qu'était établie, par la production du contrat de marché public et des bons de commande, la volonté de l'ordonnateur d'exposer ces dépenses ».
 
Nombre de précisions qui seront très utiles à la résolution des futurs litiges en la matière.
 
Pour aller plus loin
Sur la responsabilité des gestionnaires publics, voir Le Lamy Gestion et finances des collectivités territoriales, étude 216.
Lire les conclusions du rapporteur public Louis Dutheillet de Lamothe.
Source : Actualités du droit