Conformité avec réserve de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières

Public - Droit public général
13/05/2020
Dans une décision rendue le 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel déclare l’article L. 131-11 du code des juridictions financières conforme à la Constitution tout en émettant une réserve.
Par deux arrêts rendus le 7 février 2020 (CE, 7 févr. 2020, nos 436066 et 436124), le Conseil d’État a saisi le Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité, relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (v. Renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières, Actualités du droit, 19 févr. 2020).
 
Un cumul de poursuites à l’encontre des comptables publics

Le Conseil constitutionnel rappelle les termes de cet article : « Les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal, être condamnés à l’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public.
Le montant de l’amende tient compte de l’importance et de la durée de la détention ou du maniement des deniers, des circonstances dans lesquelles l’immixtion dans les fonctions de comptable public s’est produite, ainsi que du comportement et de la situation matérielle du comptable de fait. Son montant ne pourra dépasser le total des sommes indûment détenues ou maniées ».

Pour les requérants, ces dispositions autorisent, à l’encontre des comptables de fait, « un cumul de poursuites contraires au principe de nécessité des délits et des peines ». En effet, selon ces derniers, le juge financier ne peut prononcer une amende pour gestion de fait que dans le cas où le comptable de fait est poursuivi pour les mêmes opérations sur le fondement de l’article 433-12 du code pénal sanctionnant l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique. Or, il existe « d’autres poursuites pénales tendant à réprimer les mêmes faits que ceux sanctionnés par l’amende pour gestion de fait et aboutissant à des sanctions de même nature » pouvant être engagées contre le comptable de fait : poursuites pour abus de confiance (C. pén., art. 314-1), concussion (C. pén., art. 432-10), corruption passive (C. pén., art. 432-11, 1°), détournement de fonds publics (C. pén., art. 432-15) et abus de biens sociaux (C. com., art. L. 241-3, 4° ; C. com., art. L. 242-6, 3°). L’un des requérants soutient également que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi. Les questions prioritaires de constitutionnalité portent ainsi sur les mots « dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal ».
 
Le respect du principe de nécessité des délits et des peines
 
Sur le fondement de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel précise que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts ». Toutefois, en cas de cumuls de sanctions, le principe de proportionnalité doit être respecté.  En cas de gestion de fait et conformément à l’article L. 131-11 du code des juridictions financières, le comptable de fait peut être sanctionné par une amende prononcée par le juge des comptes s’il n’a pas fait l’objet, pour les mêmes opérations, de poursuites sur le fondement de l’article 433-12 du code pénal. Cet article n’interdit pas, ainsi, le cumul de poursuites pour gestion de fait et de poursuites fondées sur d’autres dispositions répressives.

Au surplus, il énonce que « la seule circonstance que plusieurs incriminations soient susceptibles de réprimer un même comportement ne peut caractériser une identité de faits au sens des exigences résultant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 que si ces derniers sont qualifiés de manière identique ».

Or, contrairement à l’infraction de gestion de fait, les incriminations citées par les requérants (abus de confiance, concussion, corruption passive, détournement de fonds publics et abus de biens sociaux) ne se limitent pas à la seule répression des faits par lesquels une personne s’est rendue coupable de gestion de fait. En effet, « ces infractions ne tendent pas à réprimer de mêmes faits, qualifiés de manière identique ». Dans ces conditions, il n’y a pas de méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines.

Le Conseil constitutionnel relève toutefois que si des cumuls sont possibles entre les poursuites pour gestion de fait et d’autres poursuites à des fins de sanction ayant le caractère de punition, « ils doivent respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de plusieurs poursuites susceptibles de conduire à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux ».

Enfin, les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant la loi ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

Sous cette réserve, les mots « dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal » figurant au premier alinéa de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes sont, ainsi, jugés conformes à la Constitution.
 
Pour aller plus loin 
Sur les sanctions en cas de gestion de fait, se référer au Lamy Gestion et finances des collectivités territoriales 2019, nos 255-40 et s.
Source : Actualités du droit