Conversion sexuelle : la CEDH condamne la Bulgarie pour rigidité de raisonnement sur la reconnaissance de l’identité sexuelle d’un requérant

Civil - Personnes et famille/patrimoine
15/07/2020
Le refus des autorités bulgares de reconnaître légalement la réassignation de sexe d’un requérant sans avancer pour cela de motivation suffisante et pertinente, lui porte une atteinte injustifiée au droit au respect de sa vie privée.
Les faits et la procédure
Un ressortissant bulgare inscrit sur les registres d’état civil comme étant de sexe féminin et portant un prénom à consonance féminine, s’identifie comme un transsexuel. Souhaitant se soumettre à une conversion médicale et juridique de son sexe, il saisit le tribunal de district de Stara Zagora afin d’obtenir la modification de ses prénoms, patronyme et nom de famille, ainsi que la substitution de la mention relative au sexe et de son numéro d’identification civil dans les registres électroniques. Il souhaite que ces données administratives reflètent son identité sexuelle et que la commune soit ainsi contrainte de reporter ces modifications sur le registre d’état civil.
 
La juridiction nationale rejeta la demande du requérant notamment au motif qu’il était né avec des caractéristiques physiologiques sexuelles féminins et que la législation bulgare n’établissait pas de critère relatif à l’état transsexuel. Dans la mesure où les registres civils mentionnaient une personne de sexe masculin, le tribunal considéra qu’un changement de nom était impossible.
 
Le requérant exerça un recours contre cette décision devant le tribunal régional de Stara Zagora qui confirma la décision rendue en première instance. La juridiction régionale reconnait le sentiment d’appartenance au sexe masculin du requérant par son comportement social et l’intervention chirurgicale qu’il a subie volontairement mais considère que celle-ci ne modifie pas pour autant son apparence et sa morphologie sexuelle. S’agissant de l’argument du requérant sur la jurisprudence bulgare existante favorable à la reconnaissance des droits des transsexuels, le tribunal régional ne se considère pas lié à celle-ci. En outre, le tribunal régional précise que seule une disposition législative pourrait prévoir de telles modifications de l’état civil.
 
La réponse de Cour
La Cour européenne des droits de l’homme précise en premier lieu que le droit au respect de la vie privée concerne tous les individus, y compris transgenres et « comprend l’identification sexuelle comme un aspect de l’identité personnelle ». L’article 8 de la CEDH trouve ici pleinement à s’appliquer puisque le requérant sollicite la modification des registres d’état civil afin qu’ils soient conformes à sa conversion sexuelle. La question est donc la suivante : la réglementation bulgare ainsi que les décisions judiciaires prises à l’encontre du requérant sont-elles conformes à l’article 8 de la CEDH ?
 
Sans décision de justice préalable reconnaissant la conversion sexuelle du requérant, celui-ci ne peut avoir recours à une intervention chirurgicale, relève la Cour. Et cette opération volontaire constitue l’aboutissement de son identité sexuelle.
 
La Cour observe que les juridictions bulgares ont relevé que le requérant est déjà pleinement entré dans un parcours de transition sexuelle. Sa vie sociale et familiale en témoigne. Mais elles ont fait primer l’intérêt général et rejeté sa requête. La Cour européenne des droits de l’homme soulève l’absence véritable d’argument derrière les décisions des tribunaux bulgares et souligne qu’ils ne précisent pas les contours exacts de cet « intérêt général » les ayant conduits à refuser la demande du requérant. Plus encore, la « Cour voit là une rigidité de raisonnement sur la reconnaissance de l’identité sexuelle du requérant qui a placé ce dernier, pendant une période déraisonnable et continue, dans une situation troublante lui inspirant des sentiments de vulnérabilité, d’humiliation et d’anxiété »
 
Dans ces conditions, la Cour considère que « le refus des autorités internes de reconnaître légalement la réassignation de sexe du requérant sans avancer pour cela de motivation suffisante et pertinente, et sans expliquer pourquoi dans d’autres affaires une telle réassignation pouvait être reconnue a porté une atteinte injustifiée au droit du requérant au respect de sa vie privée ».
 
Source : Actualités du droit